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Pierre Jacquemot: «Le Ghana démontre que la démocratie élective peut être parfaitement respectée dans un pays africain»

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Le Ghana a connu hier, dimanche 8 décembre, une nouvelle alternance pacifique, la quatrième depuis l'an 2000. Et pour s'assurer que tout se passerait pacifiquement, le candidat du pouvoir a reconnu sa défaite et a appelé le vainqueur pour le féliciter. Pourquoi cette victoire de l'opposant John Dramani Mahama ? Et pourquoi une telle stabilité politique depuis 25 ans, sans troisième mandat et sans coup d'État ? Pierre Jacquemot a été ambassadeur de France à Accra. Il a publié La démocratie à l'épreuve aux éditions de l'Aube. Aujourd'hui, il est expert à la fondation Jean-Jaurès et répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Est-ce que vous êtes surpris par cette victoire de l'opposant John Dramani Mahama?

Pierre Jacquemot : Non, pas vraiment. D'abord parce que c'est une personnalité bien connue, déjà expérimentée et qui a un programme qui tient la route. Et puis surtout, c'est la démonstration pour moi de la vitalité de la démocratie ghanéenne, avec notamment le respect de l'alternance, puisque Mahama, qui vient d'être élu, remplace le président Akufo-Addo qui était de l'autre parti. Donc, on est dans un cas de figure où le Ghana, comme c'est le cas du Sénégal aussi d'ailleurs, démontre que la démocratie élective, électorale, peut être parfaitement respectée dans un pays africain.

Et pourquoi les Ghanéens ont-ils préféré voter pour l'opposition ?

Parce qu’on est dans une situation où le pays connaît une fatigue du modèle économique qui a été mis en place depuis un certain nombre d'années et qui se traduit aujourd'hui par une très forte inflation, ce qui est assez nouveau dans ce pays. On a même une inflation qui a atteint à la fin de l'année 2022 plus de 50 %, ce qui est évidemment considérable. Le cédi, qui est la monnaie locale, a chuté très très gravement, augmentant le coût des importations. Et puis enfin, on peut se demander si ce pays ne traverse pas ce que d'autres pays ont connu par le passé, une phase de malédiction du pétrole, de l'or, du cacao, de ses ressources d'exportation, avec toute une série de dérèglements, dont l'inflation, la chute de la monnaie, mais également des affaires de corruption qui ont marqué la fin de la période de Nana Akufo-Addo.

Mais Nana Akufo-Addo n'avait-il pas réussi à ramener l'inflation de 50% à 23% par an ?

Oui, mais ça reste très élevé, notamment comparé aux pays voisins. On pourrait d'ailleurs noter à cet égard que la zone franc, le franc CFA, qui est tellement décriée dans la région, lorsqu'on traverse une période difficile comme celle de la pandémie ou celle de la crise sur les approvisionnements en céréales du fait de la guerre en Ukraine, ces pays, je pense au Togo, au Bénin ou à la Côte d'Ivoire, les pays voisins ont mieux tenu le choc. Et le Ghana, qui se faisait fort, au début du mandat de Nana Akufo-Addo, de ne pas avoir recours au FMI, a été obligé de passer sous ses fourches caudines pour défaut de paiement depuis deux ans.

Le Ghana était la deuxième puissance économique de l'Afrique de l'Ouest jusqu'à ce que la Côte d'Ivoire passe devant ces dernières années. Est-ce aussi un déclassement qui a compté dans le vote des Ghanéens ?

Non, je ne pense pas. Je pense que ce qui a compté, c'est la question du pouvoir d'achat au quotidien, donc la baisse du pouvoir d'achat liée à l'inflation, mais également la question de l'emploi. Près d'un tiers des jeunes sont sans emploi, en tout cas sans emploi formel. Également, il y a une question de sécurité alimentaire, ce qui est relativement nouveau dans ce pays, avec un recours massif à des importations de plus en plus coûteuses.

Vous qui avez été ambassadeur à Accra, comment expliquez-vous que ce pays, depuis 25 ans, soit beaucoup plus stable politiquement que ses trois voisins francophones : la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Togo ?

Ce pays a une histoire singulière. Tout ce dispositif, les Ghanéens le doivent à Jerry Rawlings. C'est assez paradoxal puisque Rawlings est arrivé à la suite d'un coup d'État. Il a mis 20 ans à installer des institutions qui aujourd'hui font leurs preuves et garantissent le bon fonctionnement de la démocratie. Et puis il y a une autre réalité qui peut paraître paradoxale, c'est le poids relatif des chefferies coutumières. La colonisation britannique au Ghana était très différente de celle que la France a imposée en Côte d'Ivoire, par exemple, et les chefferies traditionnelles occupent encore un rôle important, en particulier l’Asantehene, qui est le roi des Ashanti, qui est installé à Kumasi, une personnalité exceptionnelle que j'ai eu le bonheur de connaitre, et qui joue un rôle régulateur, notamment dans la gestion des conflits intercommunautaires, par le truchement de l'écoute, de la recherche de compromis, de la responsabilisation, qui sont des données tout à fait exceptionnelles qu'on retrouve dans un pays comme le Ghana. Donc les institutions qui aujourd'hui font leurs preuves, j'en vois une très intéressante dans le programme de Mahama, c'est la place qu'il veut réserver aux femmes dans les nominations, puisque au moins un tiers de ces nominations doit être réservé à des femmes.

Et l'ancienne ministre de l'Éducation, Jane Naana Opoku-Agyemang, va devenir la vice-présidente du Ghana, ce sera la première femme du pays à accéder à ce poste ?

Oui, c'est tout à fait révélateur, si vous voulez, de cette évolution. Et puis ce pays abrite aussi le secrétariat général de la zone de libre-échange continentale qui est un grand projet africain. Et le président Mahama, de son côté, veut poursuivre le travail engagé par son prédécesseur pour intensifier ce rôle du Ghana à l'échelle régionale, sinon à l'échelle continentale.

À lire aussiGhana: John Mahama remporte la présidentielle, le candidat du parti au pouvoir reconnaît sa défaite

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RFI : Est-ce que vous êtes surpris par cette victoire de l'opposant John Dramani Mahama?

Pierre Jacquemot : Non, pas vraiment. D'abord parce que c'est une personnalité bien connue, déjà expérimentée et qui a un programme qui tient la route. Et puis surtout, c'est la démonstration pour moi de la vitalité de la démocratie ghanéenne, avec notamment le respect de l'alternance, puisque Mahama, qui vient d'être élu, remplace le président Akufo-Addo qui était de l'autre parti. Donc, on est dans un cas de figure où le Ghana, comme c'est le cas du Sénégal aussi d'ailleurs, démontre que la démocratie élective, électorale, peut être parfaitement respectée dans un pays africain.

Et pourquoi les Ghanéens ont-ils préféré voter pour l'opposition ?

Parce qu’on est dans une situation où le pays connaît une fatigue du modèle économique qui a été mis en place depuis un certain nombre d'années et qui se traduit aujourd'hui par une très forte inflation, ce qui est assez nouveau dans ce pays. On a même une inflation qui a atteint à la fin de l'année 2022 plus de 50 %, ce qui est évidemment considérable. Le cédi, qui est la monnaie locale, a chuté très très gravement, augmentant le coût des importations. Et puis enfin, on peut se demander si ce pays ne traverse pas ce que d'autres pays ont connu par le passé, une phase de malédiction du pétrole, de l'or, du cacao, de ses ressources d'exportation, avec toute une série de dérèglements, dont l'inflation, la chute de la monnaie, mais également des affaires de corruption qui ont marqué la fin de la période de Nana Akufo-Addo.

Mais Nana Akufo-Addo n'avait-il pas réussi à ramener l'inflation de 50% à 23% par an ?

Oui, mais ça reste très élevé, notamment comparé aux pays voisins. On pourrait d'ailleurs noter à cet égard que la zone franc, le franc CFA, qui est tellement décriée dans la région, lorsqu'on traverse une période difficile comme celle de la pandémie ou celle de la crise sur les approvisionnements en céréales du fait de la guerre en Ukraine, ces pays, je pense au Togo, au Bénin ou à la Côte d'Ivoire, les pays voisins ont mieux tenu le choc. Et le Ghana, qui se faisait fort, au début du mandat de Nana Akufo-Addo, de ne pas avoir recours au FMI, a été obligé de passer sous ses fourches caudines pour défaut de paiement depuis deux ans.

Le Ghana était la deuxième puissance économique de l'Afrique de l'Ouest jusqu'à ce que la Côte d'Ivoire passe devant ces dernières années. Est-ce aussi un déclassement qui a compté dans le vote des Ghanéens ?

Non, je ne pense pas. Je pense que ce qui a compté, c'est la question du pouvoir d'achat au quotidien, donc la baisse du pouvoir d'achat liée à l'inflation, mais également la question de l'emploi. Près d'un tiers des jeunes sont sans emploi, en tout cas sans emploi formel. Également, il y a une question de sécurité alimentaire, ce qui est relativement nouveau dans ce pays, avec un recours massif à des importations de plus en plus coûteuses.

Vous qui avez été ambassadeur à Accra, comment expliquez-vous que ce pays, depuis 25 ans, soit beaucoup plus stable politiquement que ses trois voisins francophones : la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Togo ?

Ce pays a une histoire singulière. Tout ce dispositif, les Ghanéens le doivent à Jerry Rawlings. C'est assez paradoxal puisque Rawlings est arrivé à la suite d'un coup d'État. Il a mis 20 ans à installer des institutions qui aujourd'hui font leurs preuves et garantissent le bon fonctionnement de la démocratie. Et puis il y a une autre réalité qui peut paraître paradoxale, c'est le poids relatif des chefferies coutumières. La colonisation britannique au Ghana était très différente de celle que la France a imposée en Côte d'Ivoire, par exemple, et les chefferies traditionnelles occupent encore un rôle important, en particulier l’Asantehene, qui est le roi des Ashanti, qui est installé à Kumasi, une personnalité exceptionnelle que j'ai eu le bonheur de connaitre, et qui joue un rôle régulateur, notamment dans la gestion des conflits intercommunautaires, par le truchement de l'écoute, de la recherche de compromis, de la responsabilisation, qui sont des données tout à fait exceptionnelles qu'on retrouve dans un pays comme le Ghana. Donc les institutions qui aujourd'hui font leurs preuves, j'en vois une très intéressante dans le programme de Mahama, c'est la place qu'il veut réserver aux femmes dans les nominations, puisque au moins un tiers de ces nominations doit être réservé à des femmes.

Et l'ancienne ministre de l'Éducation, Jane Naana Opoku-Agyemang, va devenir la vice-présidente du Ghana, ce sera la première femme du pays à accéder à ce poste ?

Oui, c'est tout à fait révélateur, si vous voulez, de cette évolution. Et puis ce pays abrite aussi le secrétariat général de la zone de libre-échange continentale qui est un grand projet africain. Et le président Mahama, de son côté, veut poursuivre le travail engagé par son prédécesseur pour intensifier ce rôle du Ghana à l'échelle régionale, sinon à l'échelle continentale.

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