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L’Ève future (d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam)

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Alicia Clary dans le cabinet de Thomas Edison, à Menlo Park
Image générée par Midjourney

En 1885, Thomas Edison, pour sauver du désespoir un de ses amis tombé amoureux d’une actrice très belle mais stupide et vulgaire, en crée une réplique artificielle, dite andréïde, physiquement indiscernable de l’original et dotée d’un cerveau, d’un système nerveux, de muscles et d’articulations mécaniques et électriques lui donnant l’apparence de l’émotion, de l’intelligence et de la sensibilité. Telle est, brièvement résumée, la trame de L’Ève future, ce roman d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam publié en 1886.

Thomas Edison, Menlo Park, un amour brisé par la discordance choquante de l’être et du paraître, un peu du mythe de Pygmalion, une intuition des développements lointains de la robotique et de ceux, plus lointains encore, de l’intelligence artificielle : tous les éléments étaient réunis pour que naisse un grand roman fantastique, et c’est bien ainsi qu’il fut accueilli. C’est dire à quel point on peut être déçu de l’ennui ressenti à la lecture de ce livre qui, aux longues explications pseudo-scientifiques à la Jules Verne, ajoute des propos d’une rare misogynie et surtout des considérations vaguement ésotériques qui séduisent d’abord mais finissent par lasser : L’Ève future est un admirable projet gâché par sa mise en oeuvre.

L’idée n’en est pas moins fascinante : fabriquer, à partir de métal, de pompes hydrauliques, d’electro-magnétisme et de « lumière radiante » une créature imitant parfaitement l’être humain, reproduisant les attitudes, les gestes, la façon de marcher, de parler, de rire, d’être, de l’Alicia Clary dont Lord Ewald est tombé amoureux, mais d’une Alicia Clary que ne ternirait pas la disgrâce de l’esprit.

Quoi de plus de plus désolant, en effet, que la discordance entre le charme et la beauté du visage et du corps et la malformation, la laideur du caractère et de l’esprit ? C’est ce hiatus que la réalisation de l’andréïde permettra de combler.

L’Edison de l’Ève future travaille avec les technologies dont le vrai Edison est l’inventeur. La voix d’Alicia Clary est donc gravée sur des cylindres d’or, sous forme de phrases ou de répliques dont la lecture est déclenchée par un mot ou un geste de Lord Ewald. Mais la capacité des cylindres étant très limitée, il en va de même du nombre de répliques. Et c’est là que le livre, annonçant les tristes réflexions d’Adolfo Bioy Casares dans L’Invention de Morel, dépasse ses défauts pour devenir vraiment grand. Car ce qui est proposé à Lord Ewald, c’est de revivre indéfiniment, au travers des quelques centaines de phrases que les cylindres peuvent contenir, les émotions des premiers jours de la passion, au motif Ô combien pessimiste que l’amour tout entier est finalement contenu dans ces quelques moments, le reste des passions n’étant qu’un effort perpétuel, désespéré et sans doute mensonger pour revivre l’émoi de ces premiers instants.

« ― Éterniser une seule heure de l’amour, ― la plus belle, ― celle, par exemple, où le mutuel aveu se perdit sous l’éclair du premier baiser, oh ! l’arrêter au passage, la fixer et s’y définir ! y incarner son esprit et son dernier vœu ! ne serait-ce donc point le rêve de tous les êtres humains ? Ce n’est que pour essayer de ressaisir cette heure idéale que l’on continue d’aimer encore, malgré les différences et les amoindrissements apportés par les heures suivantes. ― Oh ! ravoir celle-là, toute seule ! ― Mais les autres ne sont douces qu’autant qu’elles l’augmentent et la rappellent ! Comment se lasser jamais de rééprouver cette unique joie : la grande heure monotone ! L’être aimé ne représente plus que cette heure perpétuellement à reconquérir et que l’on s’acharne en vain à vouloir ressusciter. Les autres heures ne font que monnayer cette heure d’or ! Si l’on pouvait la renforcer des meilleurs instants, parmi ceux des nuits ultérieures, elle apparaîtrait comme l’idéal de toute félicité réalisé. »


En fond sonore, derrière ma lecture Love me, please love me, de Michel Polnareff, dont la mélancolie n’est pas sans rappeler la vision pessimiste de l’amour que je trouve dans ce livre.

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Alicia Clary dans le cabinet de Thomas Edison, à Menlo Park
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En 1885, Thomas Edison, pour sauver du désespoir un de ses amis tombé amoureux d’une actrice très belle mais stupide et vulgaire, en crée une réplique artificielle, dite andréïde, physiquement indiscernable de l’original et dotée d’un cerveau, d’un système nerveux, de muscles et d’articulations mécaniques et électriques lui donnant l’apparence de l’émotion, de l’intelligence et de la sensibilité. Telle est, brièvement résumée, la trame de L’Ève future, ce roman d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam publié en 1886.

Thomas Edison, Menlo Park, un amour brisé par la discordance choquante de l’être et du paraître, un peu du mythe de Pygmalion, une intuition des développements lointains de la robotique et de ceux, plus lointains encore, de l’intelligence artificielle : tous les éléments étaient réunis pour que naisse un grand roman fantastique, et c’est bien ainsi qu’il fut accueilli. C’est dire à quel point on peut être déçu de l’ennui ressenti à la lecture de ce livre qui, aux longues explications pseudo-scientifiques à la Jules Verne, ajoute des propos d’une rare misogynie et surtout des considérations vaguement ésotériques qui séduisent d’abord mais finissent par lasser : L’Ève future est un admirable projet gâché par sa mise en oeuvre.

L’idée n’en est pas moins fascinante : fabriquer, à partir de métal, de pompes hydrauliques, d’electro-magnétisme et de « lumière radiante » une créature imitant parfaitement l’être humain, reproduisant les attitudes, les gestes, la façon de marcher, de parler, de rire, d’être, de l’Alicia Clary dont Lord Ewald est tombé amoureux, mais d’une Alicia Clary que ne ternirait pas la disgrâce de l’esprit.

Quoi de plus de plus désolant, en effet, que la discordance entre le charme et la beauté du visage et du corps et la malformation, la laideur du caractère et de l’esprit ? C’est ce hiatus que la réalisation de l’andréïde permettra de combler.

L’Edison de l’Ève future travaille avec les technologies dont le vrai Edison est l’inventeur. La voix d’Alicia Clary est donc gravée sur des cylindres d’or, sous forme de phrases ou de répliques dont la lecture est déclenchée par un mot ou un geste de Lord Ewald. Mais la capacité des cylindres étant très limitée, il en va de même du nombre de répliques. Et c’est là que le livre, annonçant les tristes réflexions d’Adolfo Bioy Casares dans L’Invention de Morel, dépasse ses défauts pour devenir vraiment grand. Car ce qui est proposé à Lord Ewald, c’est de revivre indéfiniment, au travers des quelques centaines de phrases que les cylindres peuvent contenir, les émotions des premiers jours de la passion, au motif Ô combien pessimiste que l’amour tout entier est finalement contenu dans ces quelques moments, le reste des passions n’étant qu’un effort perpétuel, désespéré et sans doute mensonger pour revivre l’émoi de ces premiers instants.

« ― Éterniser une seule heure de l’amour, ― la plus belle, ― celle, par exemple, où le mutuel aveu se perdit sous l’éclair du premier baiser, oh ! l’arrêter au passage, la fixer et s’y définir ! y incarner son esprit et son dernier vœu ! ne serait-ce donc point le rêve de tous les êtres humains ? Ce n’est que pour essayer de ressaisir cette heure idéale que l’on continue d’aimer encore, malgré les différences et les amoindrissements apportés par les heures suivantes. ― Oh ! ravoir celle-là, toute seule ! ― Mais les autres ne sont douces qu’autant qu’elles l’augmentent et la rappellent ! Comment se lasser jamais de rééprouver cette unique joie : la grande heure monotone ! L’être aimé ne représente plus que cette heure perpétuellement à reconquérir et que l’on s’acharne en vain à vouloir ressusciter. Les autres heures ne font que monnayer cette heure d’or ! Si l’on pouvait la renforcer des meilleurs instants, parmi ceux des nuits ultérieures, elle apparaîtrait comme l’idéal de toute félicité réalisé. »


En fond sonore, derrière ma lecture Love me, please love me, de Michel Polnareff, dont la mélancolie n’est pas sans rappeler la vision pessimiste de l’amour que je trouve dans ce livre.

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